La sexualité peut ouvrir la porte de la totalité ou du détail, de nombreux écrivains ont su nous faire part de cette intimité révélée dans le fétichisme. Puisqu’il n’est pas possible de tout posséder, le chemin intellectuel idéal est une pensée fétichiste : la synecdoque.
En remplaçant le tout par la partie, nous pouvons nous offrir une plage dans un grain de sable, toute l’oeuvre d’un écrivain par quelques extraits choisis et collectionnés. Nous accédons à toute la peinture par la copie du sourire de la Joconde.
La synecdoque du touriste
De retour chez eux, des touristes diront avoir vu tout un pays après avoir visité quelques monuments, vu seulement quelques visages et goûté quelques saveurs locales bien sélectionnées.
Avoir tout vu de l’Afrique ?
Le fétichisme procède de la même façon : prélever une partie du tout, choisir un morceau, trouver un fragment évocateur.
Le fétichisme ou la recherche de symbole
« Toute généralisation est un essai pour parvenir au symbole » écrit Nietzsche (La Volonté de puissance). Nous cherchons tous le fragment significatif, la différence essentielle, le segment privilégié. C’est une base du langage. Citons quelques symboles non fétichistes, mais symboles tout de même :
Le mouvement symbolisé
Les lignes de mouvement sont utilisées dans les BD pour suggérer le mouvement. Il n’y a pas de réel mouvement, mais une représentation symbolique par des petites courbes ajoutées à côté du contour.
Toute la liberté d’internet
Un symbole (l’arobase) représente l’accès à internet, une des plus grandes abstractions qui soit.
L’homme et la petite fille
L’homme et la petite fille sont symbolisées par une différence de tenue vestimentaire. C’est la robe triangulaire qui symbolise la petite fille.
Le désir de posséder
Comme un enfant face à son petit jouet, nous pouvons rechercher la maîtrise sur les choses. Certains accumulent, d’autres deviennent collectionneurs. Les produits culturels sont proposés en jouant sur ce désir : on trouve des intégrales censées satisfaire un désir de tout posséder de l’autre. De l’artiste, on possède ses moindres notes, ses brouillons, ses essais intimes. Tout cela (et c’est si peu) forme un monde pour le fétichiste, c’est une voie d’accès à la totalité. Et par ailleurs, on peut accéder à l’oeuvre de l’artiste par des extraits (résumés, citations, best of…) subtilement compilés. Par la partie ou par le tout, on pourra satisfaire l’impression de posséder, de posséder l’autre. « Mais la possession est un miracle laborieux. » (Colette, Le blé en herbe).
Musiques et émotions cachées dans un disque en plastique
Entre corps et objet, le désir comme frontière ou union
Si l’objet remplace le rapport humain, c’est alors, en quelque sorte, d’après les mots de Karl Marx, le fétichisme de la marchandise. La marchandise acquiert une indépendance dans l’économie capitaliste. L’analyse de Freud et celle de Marx coïncident : le capitalisme, tout comme le fétichisme sexuel, fait un renversement de valeurs entre l’humain et l’objet.
« En eux-mêmes, les objets ne sont pas grand-chose. Il n’existe que des impressions. A partir d’éléments diffus qu’offre la rencontre, les objets sont créés dans l’intimité du regard » écrit Michel Quesnel. Ces objets, ces accessoires ne prennent de sens que dans un contexte, une culture, une civilisation. C’est ainsi, par exemple, qu’on apprécie le théâtre et ses codes.
Dans le désir, la frontière entre objet et humain est floue mais le fétichisme permet justement d’établir un pont entre les deux. De notre corps que nous possédons comme un objet, nous disons souvent de lui : « C’est moi ». Et c’est lui qu’on emmène chez le chirurgien, c’est lui qu’on maquille pour les soirées – peintures de guerre et jeux de couleurs sur fond de teint décoré. C’est lui qu’on accessoirise pour être encore plus soi.
Quand la féminité se charge de charmes et d’ornements, l’écart entre le corps et les objets tend à s’annuler. La synecdoque unifie le corps et l’objet, le désir les unit. Dans cet espace commun, les préférences fétiches de chacun apparaissent au gré de l’imagination et de la sensibilité.
Fétichistes dans la littérature : exemples
De nombreux écrivains ont évoqué leur ressenti intime sur ce fétichisme qui n’est rien d’autre qu’une passion du détail, qu’une farouche limite d’un désir. En voici quelques exemples…
Rousseau et les femmes autoritaires
Jean-Jacques Rousseau décrit le souvenir d’une fessée qui l’a sans doute initié au masochisme. Dans Les confessions, on trouve ce passage où l’auteur avoue rechercher à nouveau le même traitement (la fessée, « la punition des enfants »). Il lui est difficile de s' »empêcher de chercher le retour du même traitement en le méritant; car j’avais trouvé dans la douleur, dans la honte même, un mélange de sensualité qui m’avait laissé plus de désir que de crainte de l’éprouver derechef par la même main. ». Rousseau écrit au sujet de la présence de mademoiselle Lambercier : « il se mêlait sans doute à cela quelque instinct précoce du sexe, le même châtiment reçu de son frère ne m’eût point du tout paru plaisant. ». Ce souvenir conditionne le développement de sa sexualité : « Qui croirait que ce châtiment d’enfant, reçu à huit ans par la main d’une fille de trente, a décidé de mes goûts, de mes désirs, de mes passions, de moi pour le reste de ma vie, et cela précisément dans le sens contraire à ce qui devait s’ensuivre naturellement? ». Rousseau écrit aussi que suite à cet événement, il aura tendance à fantasmer sur des femmes autoritaires : « mon imagination me rappelait [les belles personnes] sans cesse, uniquement pour les mettre en oeuvre à ma mode, et en faire autant de demoiselles Lambercier. ».
C’est l’attitude autoritaire qui est source de son désir.
Descartes et les femmes qui louchent
« Lorsque j’étais enfant, j’aimais une fille de mon âge, qui était un peu louche; au moyen de quoi l’impression qui se faisait par la vue en mon cerveau, quand je regardais ses yeux égarés, se joignait tellement à celle qui se faisait aussi pour émouvoir en moi la passion de l’amour, que longtemps après, en voyant des personnes louches, je me sentais plus enclin à les aimer qu’à en aimer d’autres, pour cela seul qu’elles avaient ce défaut » (Descartes, Lettre à Chanut).
Chez Descartes, on peut dire que strabisme et fétichisme vont de pair. Descartes découvre un strabisme convergent chez son premier amour, il conservera ce goût pour les yeux louches par la suite. C’est une association d’idées : il arrive en effet qu’on cherche à retrouver chez des personnes ce qu’on a aimé chez d’autres.
C’est le défaut physique qui est source de désir.
Gautier et les pieds de femme
Le fétiche du pied est présent chez Théophile Gautier. Il affirme en parlant d’un talon : « Je ne m’étais jamais représenté ce talon accompagné d’un corps, ni le reste du pied. ». Ici, l’objet est clairement indépendant de la personne, ce qui permet au fétichiste d’en user à volonté. On retrouve aussi ce fétichisme du pied, mais pour une momie, dans Le pied de momie. Le narrateur achète un pied qui lui plaît, qui est « un fragment de Vénus antique ». Chez Théophile Gautier, la femme tend à s’irréaliser, alors qu’il vise l’idéal féminin : « sculpter dans l’ivoire blanc comme la neige un corps de femme d’une telle beauté que la nature n’en peut créer de semblable ».
Perrault et la chaussure de Cendrillon
Très célèbre, l’histoire de Cendrillon de Charles Perrault évoque le fétichisme de la chaussure. « Ce n’est sans doute pas un hasard que Perrault a choisi des pantoufles de verre. Un petit réceptacle où une petite partie du corps peut être tenu serrée peut être considéré comme le symbole du vagin. Et s’il est fait d’une matière fragile qui peut se briser, on pense aussitôt à l’hymen. » (B. Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, 1976)
Certains critiques littéraires ou passionnés discutent encore la matière de la chaussure de Cendrillon : cristal, verre ou vair (l’orthographe diverge selon les sources) ? Cela montre combien la chaussure suscite l’intérêt pour un personnage qui doit être d’une finesse exceptionnelle. La chaussure perdue à la fin du bal peut passer pour la perte de la virginité. Voici, pour les enfants à qui on raconte cette histoire, une entrée précoce dans la sexualité !
Le fétichisme et sa diversité
La diversité des fétichismes fait parcourir l’autre dans ses moindres détails, qu’il s’agisse de traits physiques, de vêtements ou d’attitudes. De nombreux écrivains ont su décrire le nœud de cette intimité du fragment élu, du morceau choisi, honoré, adoré. Dans le fétichisme se déploie cette découverte élaborée, construite par un imaginaire qui nous offre un arrêt sur image saisissant sur un détail de l’autre. Le fétichisme, c’est savourer l’infime dans un voyage immobile au cœur de ses fantasmes. C’est, par le détail, tenter de comprendre le monde et d’y trouver des symboles, des emblèmes, du sens. Par les figures de style, c’est la poésie d’écrire son amour autrement.
bonjour,
merci pour cet avis, cendrillon est riche pour la possibilité d’analyse.merci
bonne après-midi
Bonjour, votre remarque est intéressante ! Il semble évident pour la psychanalyse que la chaussure représente un symbole puissant qui se décline sous différentes versions : celle qui enferme le pied précieux (Cendrillon), celle qui écrase (la femme dominatrice), etc etc. Cordialement
OK, c’est vrai dans ses cas là, ça a paru sur internet.
Mais, il se peut (peut-être?) que la chaussure représente un symbole? Même pour nous les hommes; quand entre eux par jeu, ils piquent la chaussure à un copain! Si les sites francophones sont fort peu présents dans le cas de la chaussure « empruntée »,ou « volée » les sites anglophones, eux sont très fournis en textes ou videos divers. Peut-être je me trompe, je ne sais pas!
Bonsoir Stéphane, bon week-end
Bonjour, il peut aussi s’agir d’un gros indice pour les enquêteurs… comme cela s’est produit à Toulon : http://www.varmatin.com/toulon/insolite-confondu-a-toulon-par-la-chaussure-quil-a-perdue-en-fuyant.1902054.html
Bonjour,
J’aurais désiré savoir votre avis sur un point: comment un homme peut-il ressentir un goût pour « la chaussure d’homme perdue » en voyant un mec chaussé d’un seul pied. Merci!
Bof.