Il existe un lien entre développement psychologique et développement spirituel. La croyance et la foi sont deux notions essentielles que le psychologue et théologien américain James Fowler considère et distingue. La foi n’est d’ailleurs pas toujours religieuse.
Quel rôle joue la foi dans le développement personnel ?
Théories du développement de l’adulte
Le travail de Fowler se trouve à l' »intersection de la théologie et de la psychologie du développement », et tente de mieux comprendre la formation et la transformation de la foi. Du point de vue théologique, Fowler a été très influencé par H. Richard Niehbuhr et « sa conviction centrale de la priorité de Dieu dans l’être, la valeur et la puissance ». Concernant la psychologie du développement, Fowler s’appuie premièrement sur les « méthodes psycho-sociales d’Erik Erikson, Daniel Levinson et autres », elles-mêmes inspirées des constructions psycho-sociales de Freud; il tire également profit du processus d’individuation décrit par C. G Jung. Deuxièmement, il s’appuie sur le « structuralisme développemental de Jean Piaget dans le domaine cognitif, et de Laurence Kohlberg » concernant le raisonnement moral, inspiré entre autre de Kant. Fowler mise sur l’existence, à côté de ces stades de développement cognitif et moral, de stades de développement de la foi, qui seraient des « opérations intégrées de connaissance et de valorisation par lesquelles les personnes composent leurs images d’un environnement suprême, se consacrent au caractère de valeur et de puissance qu’il révèle et conduisent selon lui leur vie quotidienne ». Il se concentre sur un certain formalisme comme l’avait fait Kohlberg, ne prêtant guère attention aux contenus de la foi. Il s’intéresse à la façon dont expériences et relations « affectent […] le contenu […] et la structuration de la foi » et entraînent un passage à un stade de développement ultérieur.
Fowler retient d’Erik Erikson sa thèse affirmant que vers le milieu de la vie, la personne devrait avoir trouvé des moyens de mobiliser ses capacités à prendre soin des autres personnes, pour « contribuer à fortifier le cycle des générations en cours », c’est-à-dire à être un « individu génératif ». De Daniel Levinson, il soulève « la compréhension de la vie comme processus », valorisant, contrairement à la société, chacune des saisons de la vie, et suggère des schémas de transition entre elles et des orientations pour aider chacun à faire des choix judicieux en fonction de la période de sa vie dans laquelle il se trouve. De Carol Gilligan, il retient que la plénitude humaine « exige un équilibre entre responsabilité et soin des autres […] d’un côté, et attention et soin de soi-même, de l’autre ». Il est nécessaire pour cela de développer tout un ensemble de vertus. Aucun de ces auteurs s’intéressant au développement de la personne n’aborde en profondeur le thème de la foi. Fowler expose alors le travail qu’il a mené avec ses collègues sur le développement de la foi, en expliquant ce que cette théorie apporte concernant l’« évaluation de la vision normative de la plénitude humaine offerte par les théories du développement de l’adulte ». J.W. Fowler, « Théologie et psychologie dans l’étude du développement de la foi ».
2) La foi serait universelle
Fowler et ses collègues émettent dès 1970 « le postulat que la foi est universelle chez l’homme », marquée par la conscience de la mort, des conséquences de nos choix pris toujours en prenant un risque, dans une tension entre le contingent et l’ « inconnu et l’inconnaissable ». Chaque humain se construit en relation aux autres. « Nous sommes des créatures reliées par le langage, portées par le symbole et soutenues par des récits, [nous sommes des] créatures qui vivent par la foi ». La foi est une « disposition » se construisant avec des connaissances (belief), des valeurs et des récits ou schémas de pensée. Nous vivons en formant et étant formés dans des images et des dispositions vis-à-vis des conditions ultimes de notre existence ». Dépourvues de sens, nos vies ne peuvent durer, ou du moins être bien vécues.
Signe qui paraît dans un ciel d’été
3) La foi, un refuge face aux changements ?
Nos sociétés modernes sont marquées par d’incessants changements, auxquels la théologie pratique doit sans cesse s’adapter pour répondre adéquatement à sa vocation. Fowler rend attentif au fait que la foi religieuse s’est effondrée pour beaucoup à la période moderne. À présent, « chaque personne ou petite sous-culture lutte pour former et maintenir un refuge de valeurs et de modes de vie partagés qui va la protéger contre les sables mouvants de la perte de sens et les vents et terreurs de la solitude cosmique ». Beaucoup fuient ou nient leur vulnérabilité. Pour Fowler, tout changement […] nous implique dans un refondement pratiquement global de notre sens de nous-mêmes, nos manières d’interagir avec les autres, et nos manières de construire les conditions basiques de notre existence. [Ils] peuvent aussi apporter la nécessité de développer de nouvelles compétences, attitudes ou croyances, ou de trouver de nouveaux symboles et histoires pour nous guider dans notre action ou notre réponse ». Les théories développementales guideront la théologie pratique, pour suggérer les meilleures façons d’accompagner les personnes. Fowler liste les sources et types de changements possibles dans une vie. Tout d’abord, il s’intéresse aux changements développementaux, prévisibles dans une certaine mesure, « résultant de la maturation et dela formation du soi ». Ils incluent la maturation physique, le développement de la perception et de la cognition, la maturation émotionnelle et affective, les capacités à la responsabilité morale et sociale, et enfin le développement de la foi, qui les inclut tous, pour qu’ils soient en adéquation avec la révélation, fondés en elle. Pour Fowler, « les transitions développementales peuvent êtres longues et se prolonger.
4) La foi, entre psychologie et théologie
Ensuite, Fowler aborde le changement reconstructif, consistant pour lui en « effondrement et reconstruction, restauration et guérison, conversion et transformation ». Les naufrages, combats ou illuminations de la vie appellent souvent un changement. Quand il est question des « plaies, perversions et faillibilités », causées par les autres ou par nous-mêmes, notre langage se rapproche de l’intersection entre la psychologie et la théologie. De plus, certains aspects de notre personnalité font que notre comportement, en certains moments, dévie de la norme. « Tôt ou tard, beaucoup d’entre nous arrivent à des moments où les histoires que nous vivons se bloquent […] où il semble que nous ayons perdu notre énergie, notre but, notre direction […] En de telles périodes nous avons besoin d’espace et d’aide pour faire un travail déconstructif et reconstructif dans nos vies ». Enfin, certains changements répondent à un événement intrusif affectant profondément nos vies, et après lequel elle ne seront plus pareilles. On peut citer le mariage, le divorce, une adoption, le deuil, le chômage.
Au dessus des nuées
Plusieurs de ces événements sont prévisibles. On attend de beaucoup d’entre eux qu’ils soient joyeux, et ne comptons pas sur des déceptions, ni sur les grands ajustements ou jaillissements d’émotions qu’ils engendreront peut-être. Certains sont littéralement dévastateurs. Pour Fowler, « on ne peut s’y préparer, dans une certaine limite, qu’en façonnant une vie fondée dans une foi et une communauté de foi qui peuvent nous former et nous soutenir dans la communication spirituelle avec une base de l’Être au-delà de nos liens d’amour limités et de nos réseaux de sens entremêlés ». Fowler énonce cela en termes de partenariat avec Dieu, d’écologie de la vocation et d’écologie du soin, et d’histoire chrétienne portée par la communauté. L’auteur s’intéresse également aux dynamiques de changement. Il conçoit la dynamique au sens grec, en tant que pouvoir « dirigé et structuré vers un but ». Le changement est alors vu comme « un processus structuré, et un processus puissant et transformant. » L’auteur s’inspire de William Bridges pour décrire les phases majeures du changement dans nos vies.
5) Les grands changements dans nos vies
Parmi les grands changements personnels, on peut citer :
a. Les fins dans nos vies, que Fowler suggère de préparer en en parlant, en les célébrant, etc. Ellesimpliquent « une mort symbolique » en quatre « phases interreliées » :
– Le désengagement envers une personne ou une chose,- la désidentification qui est le coté intérieur du processus de désengagement »: on perd « d’importants moyens d’auto-définition », qui doivent être remplacés.- Le désenchantement, par lequel « nous découvrons qu’une certaine partie importante de notre monde n’est plus réelle »- La désorientation, qui est le résultat des trois autres aspects de cette mort symbolique. « Nous avons perdu nos repères et nos amarrages familiers. Nos cartes, schémas, plans et buts semblent à présent perdus et dénués de sens » : on se trouve à la lisière de la zone neutre.
b. La zone neutre est un temps d’attente. Notre société cherche à cacher et combler ce vide de sens par des distractions et des médicaments, « pour nous aider à éviter la souffrance de la dislocation et l’impuissance du mouvement et de la direction suspendus que la zone neutre impose. Mais cet évitement signifie passer à côté du grand don que peut nous donner un séjour dans ce « temps hors du temps », cet endroit « sans lieu », « chaos primitif qui est le seul hors duquel peut advenir une nouvelle création ». La zone neutre peut être une opportunité pour la personne de découvrir ce qu’elle veut vraiment dans la vie, tout en déposant toutes choses devant Dieu.
c. De nouveaux commencements. Pour Fowler, si la personne a fidèlement suivi les étapes précédentes, elles devrait ressentir lorsque c’est le moment de prendre un nouveau départ, et à ce moment-là, une opportunité se présentera rapidement. Il ne faut alors pas se précipiter : le retour à la vie à la lumière des expériences vécues doit se faire graduellement, et nécessite l’aide de la communauté et du pasteur pour la protection de cette personne encore fragile.
6) Méthode et but de l’élaboration des stades de développement de la foi
Dans son livre Becoming Adult, Becoming Christian, Fowler nous explique la méthode appliquée pour élaborer sa théorie. En 10 ans, Fowler et ses collègues ont mené environ 600 entretiens semi-cliniques approfondis avec des hommes et des femmes de tous âges en Amérique du nord, croyants de différentes religions, agnostiques et athées. Les chercheurs se sont demandés « si certains schémas de développement qui semblent tenir dans les domaines de la croissance cognitive, psychosociale et morale ont des parallèles dans le domaine de la foi ». Ils se sont demandés s’il fallait, « pour devenir pleinement adultes et pour être pleinement humains, avoir une loyauté et une confiance profonde et durable à quelque cause ou plusieurs, plus grandes que nous-mêmes en valeur et en importance? ». Ils « ont trouvé des raisons évocatrices de proposer une séquence des manières d’être dans la foi, comparables à des stades, décrivant un schéma général de développement de la foi. Ces stades, visant à décrire des manières d’être dans la foi uniformes et prévisibles, ne sont pas d’abord une histoire de contenu de foi ». Il est question de décrire des « différences dans les styles, les façons de connaître et de valoriser, qui constituent l’action, la façond’être, c’est-à-dire la foi. [Ces] stades décrivent en termes formels les caractéristiques structurelles de la foi en tant que manière de construire, d’interpréter et de répondre aux facteurs de la contingence, de la finitude et de l’ultime dans nos vies.
Dans Faith Development and Pastoral Care, Fowler présente de manière renouvelée sa théorie sur le développement de la foi. Il la met plus en rapport avec la perspective théologique, afin qu’elle enrichisse la théologie anthropologique. Il met ce développement en corrélation avec le développement de l’identité, s’inspirant de Robert Kegan, Piaget et Kohlberg. L’objectif de Fowler est de « reconnaître des types de difficultés, de développements, de changements qui caractérisent les êtres humains dans le processus qui [conduit les personnes à devenir] des individus informés, conscients, et davantage répondant et responsables, en tant que partenaires de Dieu ». La question principale est de savoir comment répondre à l’appel de Dieu, c’est-à-dire vivre sa vocation, en fonction des diverses évolutions psychologiques et spirituelles de la personne au cours de sa vie. Fowler veut « apporter une compréhension du processus par lequel des personnes deviennent des sujets devant et en relation à Dieu et les uns aux autres. [Il tente] d’esquisser le processus d’interaction par lequel les potentialités génétiques au partenariat avec Dieu et le prochain, sont activées et prennent forme », et cherche à déterminer « les forces et les limites des structures opérationnelles de chaque stade », vis-à-vis de la vocation de l’homme, sans émettre de jugement de valeur. Il s’intéresse à comment ces personnes, dans les communautés, deviennent des sujets devant Dieu et accroissent leur capacité à être, dans leur partenariat avec Dieu, conscients, critiques et responsables ».
Références
Quelques références sur la foi dans le développement personnel :
J.W. Fowler, Théologie et psychologie dans l’étude du développement de la foi
J.W. Fowler, Faith Development and Pastoral Care, Philadelphia, 1988
J.W. Fowler, Becoming Adult, Becoming Christian: Adult Development and Christian Faith
Pierre-Yves Brandt, Le développement religieux: changements de paradigmes
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