Homme ou femme, il fallait choisir. La théorie du genre nuance le caractère inné de notre identité sexuelle. L’histoire de notre vie et notre environnement nous constitue bien davantage que notre sexe biologique de départ, même si souvent, on les perçoit en accord. La différence masculin – féminin ne se trouve pas toujours sur la frontière mâle – femelle biologiques. Une femme peut s’éloigner de son versant féminin.

Détaillons quelques idées sur la théorie du genre.

Androgyne de Platon (vue d’artiste)

La théorie du genre : définition

La théorie du genre n’est pas une théorie au sens scientifique, mais un concept qui affirme que l’identité sexuelle est une construction personnelle, affective, relationnelle et culturelle. On devient plus ou moins masculin et féminin au cours de sa vie. Notre sexe n’est pas le sexe biologique attribué à notre naissance (qui figure durant toute notre vie sur la carte d’identité ou le passeport). Si la masculinité s’accorde bien avec le sexe mâle, aucun vécu personnel ne peut être identique.

L’affrontement des stéréotypes de genre

Les cadres normatifs des institutions créent un clivage entre les deux (seules) catégories d’humains : les hommes et les femmes. Ce clivage binaire repose sur l’idée de complémentarité entre homme et femme. Le couple classique hétérosexuel en est l’incarnation vivante et, semble-t-il, naturelle.

Pourtant, ce clivage binaire vit dans des traditions parfois réductrices et se base sur des stéréotypes qui éliminent les nuances propres à chacun. Ces stéréotypes font attribuer automatiquement des traits de caractères, des goûts, des compétences aux hommes et aux femmes et vont donc influencer la perception et le jugement, et même nos comportements. L’inégalité professionnelle en est encore une preuve.

Quelques exemples de stéréotypes :

La femme :

– nulle au volant

– fait plusieurs choses à la fois

– blonde idiote

– bonne mère de famille responsable

L’homme :

– père de famille nourricier

– ambitieux professionnellement

– nul aux tâches domestiques

– incapable de s’occuper de ses enfants

Les femmes conduisent autant que les hommes et ne deviennent pas garagistes pour autant.

Silhouettes stéréotypées… ou pas ?

Des deux côtés, les stéréotypes sont plutôt négatifs. Nous nous sommes tous un jour sentis en dehors de ces rôles tout faits et de ces images préconçues. Si on estime qu’un homme peut cultiver sa part de féminité, c’est bien qu’il existe une idée préconçue de féminité (par exemple : relations humaines, sensibilité, etc).

La catégorie sexuelle – le genre – correspond à un ensemble de critères d’apparence qu’on associe au sexe biologique. Si, en voyant quelqu’un dans la rue, on se dit « C’est une femme », nous utilisons inconsciemment un stéréotype de la « femme » (silhouette, sac à main, maquillage, etc). Et parfois nous nous trompons.

Les arguments de la théorie du genre

Les gènes exprimés en situation

La biologie humaine (le support matériel, le « hardware ») n’a pas changé depuis des milliers d’années, et pourtant les comportements des hommes et des femmes évoluent dans des rôles socialement attribués. Au cours des premiers apprentissages, nous frayons dans nos pensées des chemins que nous prendrons plus volontiers par la suite.

Les lieux d’accueil pour petite enfance proposent des activités différentes pour les petits garçons et les petites filles et contribuent ainsi à la différenciation des sexes. La publicité pour les jouets de supermarché souligne aussi cette différence. C’est toujours dans un environnement donné, dans une situation personnelle, que s’exprimera la « promesse génétique » (Boris Cyrulnik) de chacun. Il n’y a pas d’opposition entre nature et culture : la nature se déploie toujours dans une culture.

L’existentialisme

En philosophie, l’existentialisme affirme que l’être humain forme sa vie par ses propres actions dont il est maître : il n’a pas de destin tracé d’avance. A l’aube de son existence, l’être humain n’est rien. « L’homme est cire vierge qu’il faut pétrir » (Saint-Exupéry, Vol de nuit). Il n’y a pas de déterminisme.

Ainsi Simone de Beauvoir critique l’élaboration des genres par les rôles sociaux : « On ne naît pas femme, on le devient ». Selon elle, les enfants reçoivent l’éducation des parents dès leur naissance et c’est pendant ces premières années que sont insufflées, même tacitement, les vocations des enfants : petit garçon retiré des jupes de sa mère, fillette cajolée et coquette. La fillette profite des regards protecteurs des adultes. Au contraire, le petit garçon ne doit pas pleurer et devenir un « petit homme », puis un homme. Vers cette phase de l’enfance, certains garçons choisiraient la féminité. Pourtant plus tard, les adultes auraient davantage d’ambition pour le petit garçon, ventant « l’orgueil de sa virilité ». Même si ces exemples sont stéréotypés, l’entourage et l’éducation jouent un rôle immense.

Homosexualité, trouver son genre

Selon Simone de Beauvoir (dans Le deuxième sexe), l’homosexualité est un choix résultant d’une liberté en situation. C’est une attitude librement adoptée et motivée. Pour la femme, l’homosexualité est une alternative à une situation attribuée, en particulier érotique.

Des modèles psychologiques actuels estiment que l’homosexualité est favorisée par le couple de parents mère possessive – père absent. La perte du modèle de l’homme chez le garçon le prive du monde masculin. Il s’éloigne des filles parce qu’il se sent incapable de leur donner la virilité tant imaginée et tant attendue. La petite fille est sans doute intimidée par le monde masculin et se sent en sécurité chez les personnes de même sexe.

Liens d’amour transcendant le simple genre

La donnée sociale du genre

Pas de théorie du genre sans la notion de genre ! Le genre a longtemps été associé au genre grammatical. Le mouvement féministe des années 1970 a popularisé le mot genre dans le sens de « sexe » pour les sciences sociales. Le genre (masculin ou féminin) ne serait pas inhérent à l’individu, mais le résultat d’un processus social durant lequel sont acquises les caractéristiques du masculin et du féminin. Le genre est ainsi l’identité construite, le résultat de l’environnement et de l’éducation.

Vêtements unisexes

Colette décrit dans Le blé en herbe le personnage d’une femme initiatrice aux plaisirs de l’amour :

« Mme Dalleray sourit, de ce sourire viril qui lui donnait souvent l’air d’un beau garçon ».

Les sexualités alternatives

Si Freud parle volontiers de perversions, il s’agit plutôt des sexualités alternatives. Elles ne trouvent leur place sur aucun des versants masculin ou féminin, mais dans un ailleurs que la théorie du genre légitime et unifie. Les paraphilies ne caractérisent ni l’homme ni la femme et n’ont pour objet ni l’homme ni la femme. C’est un désir transverse. La pulsion sexuelle peut être reconstruite face à une morale perçue comme répressive et sentencieuse : c’est la sublimation du désir. On peut s’interroger sur l’objet de ce désir :

« Il existe, l’objet du désir, mais il n’est point de mots pour le dire » (Saint Exupéry, Terre des hommes)

Cette pulsion de vie sublimée transcende déjà le clivage homme – femme.

La sublimation en psychologie ?

Sublimation en psychologie : définition

Espace au delà des clivages

Critiques de la théorie du genre

La théorie du genre ne fait pourtant pas l’unanimité. La déconstruction qu’elle propose semble pour certains être une menace pour la société, une véritable autodestruction.

La théorie du genre : vers une « égalité d’automates »

Une critique étonnante vient du psychanalyste Erich Fromm (1900-1980). Il dénonce l’annulation des différences entre hommes et femmes. Puisque « l’âme n’a pas de sexe », les hommes et les femmes deviennent « les mêmes », faisant disparaître l’attraction typique des « pôles opposés ». Eric Fromm compare la standardisation entre hommes et femmes à celle des produits industriels, ce qui tend vers une « égalité d’automates » :

« Dans la société capitaliste contemporaine, la signification de l’égalité s’est transformée. Par égalité on se réfère à une égalité d’automates ; d’hommes qui ont perdu leur individualité. Aujourd’hui, égalité signifie « similitude » plutôt que « singularité ». C’est une similitude d’abstractions, d’hommes qui exécutent les mêmes travaux, qui s’adonnent aux mêmes loisirs, qui lisent les mêmes journaux, qui nourrissent les mêmes sentiments et les mêmes idées » (L’art d’aimer).

Accepter l’autre dans ses différences, le reconnaître – comme on se reconnaît aussi – comme un individu unique guide vers l’amour véritable du prochain.

Critique de la théorie du genre par les catholiques

L’absence de distinction entre homme et femme serait une vue de l’esprit. Face à une indifférenciation sexuelle jugée parfois radicale par les catholiques, l’Eglise souligne la question de fond concernant le sens à donner à l’égalité. Il est pertinent d’apprendre à se connaître avant de vouloir se transformer profondément. Par exemple, les rôles resteront toujours différents pour la procréation. L’identité n’est pas désincarnée, le corps est le « temple du Saint-Esprit » (Saint Paul).

L’Eglise catholique défend l’oeuvre de Dieu (la Création) qui vise entre autres à éviter à l’homme son autodestruction. C’est là qu’intervient l’argument inattendu de l’écologie : au lieu de se limiter à la vaste forêt amazonienne, l’écologie devrait aussi s’appliquer à la protection des hommes contre des tentations orgueilleuses de toute puissance en faisant abstraction de leur origine innée et divine.

Reste selon Bachelard la beauté qui est propre à la femme : « Adam a trouvé Ève en sortant d’un rêve : c’est pourquoi la femme est si belle » (L’eau et les rêves).

Conclusion sur la théorie du genre

La théorie du genre affirme que le vécu relationnel, affectif et sexuel de chacun joue un rôle prépondérant dans la construction de l’identité sexuelle ressentie. Le sexe biologique est un point de départ sans importance. La théorie du genre laisse de côté les explications biologiques pour explorer des explications sociales. Elle offre ainsi tous les arts de vivre et d’aimer, entre les anciens pôles masculin et féminin. Chacun peut trouver sa place dans un espace libéré des cadres stricts qui ont réalisé un clivage binaire réducteur. Cependant, il semble positif de conserver les différences qui donnent à chacun sa richesse personnelle, dans l’harmonie entre égalité et singularité.

Accepter l’altérité, avec intelligence et confiance