D’où peut venir la nostalgie du premier amour ? Avec le temps, nos expériences ne semblent pourtant pas effacer le souvenir du premier amour. Mais quel est ce souvenir que l’on croit intact ? Entre fiction et réalité, il est parfois complexe de faire la part des choses dans nos grands élans amoureux.

Premier amour, parlons un peu de toi.

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Un merveilleux souvenir : premier amour lointain mais toujours présent intérieurement

Le premier amour : expérience sans repère

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C’était la première fois. Comme toutes les premières fois dans tous les domaines, on n’a point de repères, on ne fait pas de comparaison entre ici et là bas, entre maintenant et autrefois. Le premier amour se vit souvent dans l’exclusivité de la relation, ce qui favorise le sentiment d’absolu de cette expérience si unique, coupée du monde. On associe souvent le premier amour à un amour romantique et sans concession. Et vous, de quoi vous rappelez-vous ? L’entourage semblait alors fait de personnes aux contours flous, imprécis, parfois oubliés dans nos souvenirs nostalgiques. Si cet amour prend fin, le chagrin d’amour semble insurmontable, du moins pendant un certain temps.

Tout cela représente un rite initiatique qui se vit souvent à l’adolescence. Il y a un « avant » et un « après » par rapport à ce repère. Dans Premier amour de Sophie Tasma, on peut lire : « Je suis allé dans la cuisine. Quelque chose avait changé dehors, la fenêtre était devenue blanche, brumeuse. J’ai compris que c’était déjà le début du jour.« . Ici, l’étape du premier amour est décrite par la métaphore du jour qui vient. C’est d’ailleurs une caractéristique de l’amour romantique : projeter sur la nature les sentiments humains.Le premier amour peut façonner profondément notre vision de l’amour, ce qu’on cherchera dans une relation amoureuse par la suite. On échange alors une rêverie illimitée et vague contre des attentes plus précises qui borneront peut-être l’imaginaire.

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« L’or du soir qui tombe » (Victor Hugo)

La deuxième fois

On se souvient, on évoque et on raconte souvent nos premières fois. Premier amour, mais aussi premier voyage, premier diplôme, premier parcours à vélo. Pourrait-on se passer de la première fois et arriver tout de suite à la deuxième fois ? Se passer du premier rendez vous et arriver tout de suite au deuxième ? Ainsi du deuxième rendez-vous, du deuxième album, du deuxième enfant… Mais la littérature parle peu de ces deuxièmes fois.

Premier amour, la transformation du souvenir

Avec le temps, les souvenirs se modifient et tendent à atténuer les moments désagréables au profit des instants heureux. Le premier amour s’idéalise au fur et à mesure jusqu’à devenir une sorte de perfection qu’on ne pourra plus jamais revivre. Comment retrouver dans la réalité la pureté de ce premier émoi ? Cela semble une impasse. En fait, notre mémoire autobiographique nous prive des moments sans intérêt que le premier amour nous a aussi apportés. Ces moments sans émotions n’ont pas laissé de traces (trace mnésique). La mémoire déforme le souvenir, et peut même dans certains cas créer de faux souvenirs. Le premier amour n’est plus un être en chair et en os mais plutôt une recomposition souvent idéalisée. Nous embellissons le passé.

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Aurore en mémoire vive : la subjectivité du souvenir

Le premier amour, un fossile vivant ?

A bord du monde réel, on peut pourtant souhaiter revoir son premier amour. Mais il ne s’agit sans doute pas de recommencer une relation amoureuse. Il faut se rappeler que nous évoluons toute et tous et que le premier amour (la relation, les impressions du moment) tel que nous l’avons vécu appartient au passé et n’existe plus. C’est ce passé qu’on souhaite revoir et revivre, non la personne présente au rendez-vous tant attendu. Il est difficile aujourd’hui de retrouver l’état d’esprit d’autrefois. Le premier amour comme chemin d’accès à sa propre mémoire prend le rôle d’un fossile vivant qui joint le souvenir du passé à l’instant présent. On retrouve son prénom, la couleur de ses yeux, sa maison, son ancien lycée, tout ce qui permet de retrouver l’émotion. On est ici et là-bas en même temps.

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Premier amour, premier toucher, de l’aurore au couchant

Nous n’avons pas réellement oublié, mais la restitution des souvenirs est bien facilitée par des éléments extérieurs, comme l’affirme Marcel Proust dans A l’ombre des jeunes filles en fleurs :« (…) La meilleure part de notre mémoire est hors de nous, dans un souffle pluvieux, dans l’odeur de renfermé d’une chambre ou dans l’odeur d’une première flambée, partout où nous retrouvons de nous-mêmes ce que notre intelligence (…) avait dédaigné, la dernière réserve du passé, la meilleure, celle qui, quand toutes nos larmes semblent taries, sait nous faire pleurer encore. » Ainsi, c’est parfois un élément extérieur qui fait surgir l’émotion.

Les couleurs vives du souvenir

Les couleurs ont un sens pour nous et sont liées à nos émotions, mais la perception des couleurs est aussi façonnée par notre culture et notre langage. La mémoire peut aussi influencer la perception des couleurs. Si on se rappelle un moment fort qui s’est produit lors d’une journée peu lumineuse et sans contrastes, on peut se rappeler le ciel d’un bleu plus riche, le sable plus blanc, l’eau d’un bleu plus profond, une nuit d’une profondeur de saphir, le sang d’un rouge plus vif, un rayon de soleil qui danse sur un verre d’eau.

« Et ce jour-là, à la terrasse d’une auberge rose… » (Georges Simenon, Le train)

Les couleurs des souvenirs sont plus vives, plus saturées et plus contrastées. Elles sont aussi attachées au contexte donné par notre souvenir. On pourrait dire que la couleur du souvenir n’est pas le « vert », mais l’herbe. Il y a une nuance de vert différente dans chaque brin d’herbe. L’éclat des couleurs du souvenir est une reconstitution personnelle. Ces couleurs n’existent pas dans la réalité. On sera toujours à la recherche de la mer si bleue qu’on a vue avec son premier amour, ou de l’arc en ciel si lumineux qui s’est levé dans un ciel après le coup de foudre…

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Lever de soleil composé sur les vignes

Les couleurs du souvenir ne changent pas ce que nous voyons, mais peuvent orienter nos préférences. Les photographes et les réalisateurs de film ajustent certaines couleurs pour susciter des impressions plus ou moins agréables. La température de couleur en est un excellent exemple.

Le premier amour : un souvenir pour rêver

La nostalgie du premier amour n’est pas toujours malheureuse, on se rappelle le bon temps, on se laisse volontiers surprendre et catapulter en arrière. C’est un lâcher prise. Les réseaux sociaux sur le net permettent souvent ces occasions. De nombreux témoignages en sont la preuve. Relire un prénom entraîne une reviviscence du souvenir. La nostalgie (« ne pas oublier ») n’est pas forcément la mélancolie triste (« ne pas s’en remettre »). Il y aurait presque une nostalgie euphorique, longtemps après le travail de deuil, quand on prend plaisir à se souvenir des instants heureux. Cette nostalgie du premier amour entretient une rêverie pour ceux et celles qui aiment rêver, s’évader quelques instants dans un imaginaire poétique, loin de la vie réelle… Dans ce cas, la rencontre n’est pas forcément souhaitée, puisqu’elle risquerait de dégrader l’image idéale recomposée. Les souvenirs sont souvent différents chez l’autre et ne peuvent que rarement être partagés. Se rappeler son premier amour n’est plus une souffrance, mais une inspiration qui éclaire la vie, qui en compose son intensité. Ceux et celles qui tombent amoureux souvent sont peut-être aussi de grands rêveurs.

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« L’amour infini me montera dans l’âme » (Rimbaud)

Témoignage d’un premier amour

Voici par exemple le récit de la première aventure amoureuse d’une jeune adolescente :

« La musique n’arrivait plus que de loin, à travers la porte souvent fermée du chalet; à bien tendre l’oreille, on pouvait d’ailleurs reconnaître que c’était lui ou ses amis qui mixaient dans le salon. La fatigue avait sans doute eu raison de moi, et m’avait poussée à monter dans ma – dans notre – petite chambre à l’étage d’en face, dans la maison de jardinier qui se tenait à quelques mètres du chalet. Une petite échelle permettait d’y accéder, et c’était là que j’avais vu nos couvertures soigneusement préparées, ma couette et la sienne mêlées en guise de lit partagé. Quelle finesse de sa part, peut-être même qu’il avait simplement mis cela comme ça avec négligence, mais la disposition me toucha beaucoup. J’étais presque endormie dans mon silence lorsque des pas m’éveillèrent à nouveau, c’était lui. Cela ne pouvait d’ailleurs être que lui, mes sens dans un étrange émoi me firent retrouver dans l’instant sa silhouette plutôt élancée, sa voix qui n’avait pas besoin de parler pour me dire ces mots d’amour que sans doute bien des jeunes filles connaissent un jour ou l’autre, mais en croyant chaque fois vivre un privilège de leur temps. Il était avec moi, tout en haut de ce petit étage de seulement quelques mètres carrés, juste la place pour le haut de l’échelle, une petite fenêtre tournée vers le chalet et notre lit si joliment préparé. Une odeur de dehors monta jusqu’à nous, prolongeant la musique enfin arrêtée. Tout s’était d’ailleurs arrêté : le compteur électrique, les conversations, les bruits de la jeunesse dont j’entrais par la porte d’un rêve.

J‘ai dû mourir dans ses baisers nocturnes, c’était la première fois que j’avais quinze ans, que je vivais ce qu’on appellerait plus tard communément un merveilleux souvenir. Ce temps présent de l’échange, du glissement subtil et varié de ma peau sur la sienne, me resterait bien longtemps… Je devrais encore me rappeler ce petit monde hermétique, si heureux dans l’obscurité qui allonge le temps, dans la chaleur sans chauffage, et cette lumière de l’extase presque électrique. Dehors, mon meilleur ami dormait dans sa voiture, pourquoi avait-il préféré cet endroit à l’intérieur confortable du chalet ? C’est vrai qu’il aimait beaucoup les voitures, mais cette raison suffisait-elle ? J’imaginais qu’il devait avoir un peu froid, tout seul, avec comme plafond une carrosserie en métal et ce pare brise convexe qui trompe l’œil pour mieux voir le ciel. Le jour commençait à venir, la nuit nous trahissait et retirait doucement l’invisible plaisir où seuls le toucher, les chuchotements, et l’humidité fluide se laissent vivre. Une seule seconde de silence fut interrompue par le chant d’un oiseau qui reprenait vie pour souhaiter la bienvenue au jour dans ce monde. Je ne sais plus quelles sensations m’ont envahie, si seulement il existe des mots pour évoquer ce plaisir suraigu, éphémère comme une étoile montée en plein ciel. Je fus un instant comme au dessus de moi-même, jetée dans les airs par une secousse sismique, profonde et totale : le jour s’était levé. Il était alors là, à coté de moi, serein, posé, comme déjà endormi. Pourtant l’homme s’éveille dans le jour qui s’éveille, ici dans un lever de soleil immense : « Ce lever de soleil… » que je ne décrirai jamais assez. Le ciel ne savait plus quelle allure prendre face aux premiers rayons, mélange de couleurs chaudes, de bleu ou de violet. Le haut des arbres s’illuminait enfin, après l’aventure d’une nuit qui avait mené à la somptueuse impasse du jour. Il avait dû s’endormir pour de bon, manquant ce spectacle rare et lui aussi éphémère, vous savez, des levers de soleil qu’on ne peut vivre qu’après une nuit blanche.

Si quelqu’un était passé sur le chemin d’en face, et avait vu le même ciel, il aurait exprimé la naissance d’un jour ordinaire de septembre, alors que pour moi, cette lumière vive marquait la fin brûlante de la nuit emportée. Personne n’a su me dire si ce dimanche matin, des rayons de soleil étaient réellement venus dans le ciel, ou si j’étais la seule à avoir connu ces couleurs irréelles. Ce merveilleux souvenir était donc juste derrière moi, englouti par la nuit déjà achevée. J’avais abandonné une part de moi, pour toujours, dans ce tout petit endroit de jeunesse, où était apparue – laissez-moi y croire – l’orange solaire d’un beau matin. »